Les péripéties d’une institution du droit du travail en temps de crise : le paradigme du travail temporaire en Grèce
Le travail temporaire constitue une forme de travail qui, selon ses partisans, permet aux entreprises de dégager rapidement le personnel nécessaire et au marché du travail, surtout en temps de crise, de mieux fonctionner. Elle est pourtant susceptible de multiples fraudes ou abus engendrés par le caractère triangulaire de ce rapport de travail. Elle contribue à la segmentation du marché du travail et à la création d’inégalités importantes parmi les travailleurs[1].
Cette forme atypique de travail a été reconnue en Grèce pour la première fois en 2001 avec la loi 2956/2001[2]. Confronté à la crise économique, puis sous la pression conjointe du FMI et de l’Union européenne, le paysage social et législatif grec a été particulièrement marqué, notamment par plusieurs modifications concernant tant le droit du travail que celui de la sécurité sociale. Le régime du travail temporaire a été depuis lors modifié à plusieurs reprises et plus particulièrement au cours des dernières années de la crise économique. Ces modifications traduisent la « nervosité » de l’activité législative grecque dans les années récentes en matière de droit du travail, apparue aussi dans d’autres matières de cette branche de droit que le travail temporaire. Elles sont successives, certaines fois contradictoires et, souvent, prises à la hâte et sous la pression des créanciers[3]. Il s’agit ainsi d’une institution juridique qui est mise à l’épreuve.
Ces changements législatifs ne sont pourtant pas uniquement liés à la crise économique. L’environnement européen, juridique et politique semble également jouer un rôle considérable. Il nous a paru dès lors intéressant de réfléchir au travers de ces modifications au rôle de la crise en matière de droit du travail ainsi qu’à l’influence de l’Union européenne en matière d’institutions juridiques nationales. Le travail temporaire servira alors de révélateur de la sensibilité du droit du travail aux mutations économiques liées à la crise, ainsi que de l’influence exercée par les institutions « extra-nationales » sur le chemin emprunté par cette branche du droit.
Dans un premier temps nous allons examiner le cadre juridique et social entourant la période qui nous intéresse, c’est-à-dire à partir de 2010. Par la suite on analysera dans les détails les modifications successives apportées par le législateur grec en matière de travail temporaire.
Le cadre du changement
Le contexte social et juridique entourant les modifications successives du régime du travail temporaire semble assez fluide et complexe. Plusieurs facteurs se sont conjugués qui n’ont pas tous pesé dans le même sens. C’est la protection des salariés, la fonction essentielle du droit du travail, qui a dicté les premières interventions du législateur grec face à la crise. Or, par la suite, l’environnement s’est transformé. La crise s’est aggravée[4] et la Troïka[5] est arrivée imposant des modifications législatives dont certaines ont concerné le travail temporaire. Enfin, l’œuvre du législateur grec en matière du travail temporaire fut pendant cette période également guidée par la nécessité de transposition de la Directive 2008/104.
La protection des travailleurs temporaires face à la crise – une initiative nationale
Certes, le droit du travail – discipline singulièrement sensible aux évolutions économiques – ne pouvait rester inerte face aux mutations induites par la situation de crise. C’est ainsi que les premières mesures adoptées (loi 3846/2010) consistaient essentiellement en un renforcement des règles protectrices en faveur des salariés les plus vulnérables, particulièrement affectés par la crise, même si le bilan social que l’on est tenté de dresser à ce jour est loin d’être clair. Aussi est-il également caractéristique de souligner que ces premières mesures – adoptées avant la pleine apparition de la crise et dont l’objet visait à protéger les travailleurs de ses effets néfastes – constituaient des mesures « nationales », autrement dit décidées uniquement par le gouvernement grec. De plus, elles ont été prises sur la base d’un rapport d’experts[6]. Elles ont donc fait suite à une réflexion et un débat entre personnes compétentes.
Les mesures concernant le travail temporaire s’inscrivaient également dans cette même perspective. Ainsi la volonté de contrôler les rapports de travail face à la crise galopante constitua la raison de premières mesures relatives au travail temporaire. Comme il a été signalé, en temps de crise aiguë de l’emploi, la question du rôle des agences de travail temporaire dans le fonctionnement du marché du travail ne peut que resurgir, tandis que le sort des salariés précaires invite à réfléchir à nouveau aux garanties qu’il faudrait mettre en place à leur profit[7] : protéger les travailleurs temporaires et éviter la division du monde de travail et la concurrence entre les différentes catégories de salariés de l’entreprise. Le droit du travail réagit alors en assumant sa fonction traditionnelle de protection des salariés et en cherchant à contrecarrer les effets défavorables de la crise.
Le redressement de la situation économique face à la crise
Or, la perspective et l’objectif des interventions législatives en matière de droit du travail ont rapidement pris par la suite une tout autre tournure, tendant uniquement et invariablement vers l’abaissement du coût de la main-d’œuvre et l’accroissement de la flexibilité du travail. En pleine crise, les décisions alors adoptées semblent dictées par des institutions « extra-nationales » sans négociation préalable avec les partenaires sociaux grecs. Ces décisions prises en dehors du cadre national, provenant de l’extérieur, s’imposent de fait aux institutions nationales, gouvernement et parlement, conduisant certains juristes à qualifier la discipline de « droit du travail d’un pays occupé »[8].
Cette perspective plus générale a touché également le travail temporaire. Cette forme de travail est censée constituer, selon les partisans de la déréglementation et de la flexibilité de la force de travail, un facteur favorable à la relance de l’économie et du marché du travail. C’est ainsi que l’obligation de modifier le régime du travail temporaire est incluse dans les programmes d’action conclus entre le gouvernement grec et ses créanciers. De cette façon, une série de règles juridiques de fonctionnement des entreprises de travail temporaire furent susceptibles d’être modifiées afin d’assurer la déréglementation souhaitée. C’est ainsi que certaines modifications issues des lois 4052/2012, 4093/2012 et 4254/2014 visent le noyau dur du régime juridique de l’institution du travail temporaire.
L’influence du droit européen
En matière sociale, l’activité de la Communauté puis de l’Union européenne était orientée vers le progrès concernant les conditions de vie et de travail des salariés[9]. L’interventionnisme européen et le respect de sa législation ne devraient donc pas conduire à une régression sociale[10]. Les droits acquis des salariés assurés par le droit national ne devraient pas être lésés. Le droit social de l’Union européenne autorise ainsi en principe les autorités nationales à déroger aux normes sociales européennes mais afin d’assurer une protection nationale renforcée des travailleurs.
Or, la Directive 2008/104 semble adopter une autre perspective, celle de la flexibilité. Suivant les lignes du Livre vert sur la modernisation du droit du travail, tout en assurant certains droits aux travailleurs, elle semble favoriser le développement du travail temporaire[11].
L’accent n’est plus mis essentiellement sur la protection des salariés, mais sur la nécessité de développer les formes de travail les plus flexibles. Deux facteurs majeurs prédominent. Tout d’abord l’article 4 de la directive 2008/104 prévoit que “les interdictions ou restrictions concernant le recours aux travailleurs intérimaires sont uniquement justifiées par des raisons d’intérêt général tenant, notamment, à la protection des travailleurs intérimaires, aux exigences de santé et de sécurité au travail ou à la nécessité d’assurer le bon fonctionnement du marché du travail, et d’empêcher les abus”. Elle prévoit également que les États membres doivent réexaminer les restrictions ou interdictions applicables au travail intérimaire afin de vérifier si elles restent justifiées par ces raisons. Ce texte en imposant la justification de mesures restrictives de la liberté de commerce semble s’efforcer de favoriser le développement du travail temporaire et donner lieu à d’importantes remises en cause dans des pays qui ont mis en place un encadrement assez étroit de l’activité des entreprises de travail temporaire[12].
C’est ainsi que certaines des modifications apportées après 2010 par le législateur grec correspondent à l’obligation de transposition de la directive. Ces modifications semblent être liées au facteur ambivalent de la législation européenne en matière du travail temporaire : protection d’une part et flexibilité d’autre part.
Afin d’avoir une vue plus complète des changements, nous allons à présent procéder à leur analyse d’une façon plus détaillée.
Les changements
Les changements apportés au statut juridique du travail temporaire après 2010 ne semblent pas avoir répondu à une orientation unique. Certains de ces changements ont visé à faciliter le recours au travail temporaire. C’est l’objectif de la recherche de la flexibilité. Il explique la majeure partie des changements introduits. Cet objectif connaît pourtant certaines limites. La nécessité de protéger les salariés flexibles constitue une autre perspective. Elle n’a pourtant été que l’exception.
La règle- une flexibilité accrue
La recherche de la flexibilité ou de la sécurité dans le cadre du travail temporaire pourrait être effectuée au travers de la fixation de certains éléments déterminants du fonctionnement de l’institution juridique.
Plus particulièrement la volonté d’éviter une concurrence entre le travail intérimaire et le travail régulier dans l’entreprise utilisatrice peut être réalisée de deux façons. D’une part, par la limitation de cas dans lesquels une entreprise peut avoir recours au travail temporaire. D’autre part, par la détermination de la durée maximale des missions de salariés temporaires dans l’entreprise utilisatrice et du nombre maximal de renouvellements des missions du même salarié.
Tandis que le législateur de 2010 était intervenu pour éviter une telle concurrence, les interventions législatives ultérieures ont tendu à œuvrer dans le sens contraire, c’est-à-dire assurer la flexibilité de l’institution. De cette façon, certaines des modifications précédentes ont été annulées. Enfin, les conditions de l’établissement de l’un des facteurs du travail temporaire, l’entreprise de travail temporaire, sont fixées de nouveau afin d’assurer un fonctionnement plus flexible.
Les raisons autorisant le recourir au travail temporaire
La réglementation des conditions dans lesquelles on peut avoir recours au travail temporaire est une question clef du fonctionnement de l’ensemble de l’institution. De la position prise sur ce point par chaque ordre juridique, dépend le statut du travail temporaire, lequel sera ou non transformé en outil de concurrence de l’emploi régulier.
L’employeur pouvait, en vertu de dispositions de la loi initiale 2956/2001, recourir à tout moment au travail intérimaire, sans que cette option ne fût liée à des raisons spécifiques ou à l’organisation du travail[13]. Une telle règle a fait l’objet de critiques doctrinales en arguant qu’elle permettait la concurrence de l’emploi régulier[14]. Le comité d’experts avait également recommandé la prévision par la loi de raisons précises pour le recours au travail temporaire[15].
Dans de telles circonstances la loi 3846/2010 visant, selon les déclarations du ministre de l’époque, à la protection des salariés les plus vulnérables, limitait le recours au travail temporaire à des cas précis relevant du fonctionnement de l’entreprise. Un tel recours n’est alors autorisé que pour des motifs justifiés par « les besoins exceptionnels, temporaires ou saisonniers de l’entreprise ». La place du travail temporaire a dès lors été modifiée. Considérablement restreinte, sa capacité de concurrencer le travail typique en fut grandement diminuée.
Or, par la suite la perspective a changé. L’accent n’a plus été mis sur la protection des salariés, mais sur la nécessité de développer les formes de travail les plus flexibles. Deux facteurs majeurs ont prédominé.
Tout d’abord la directive 2008/104 dont l’article 4 prévoit que « les interdictions ou restrictions concernant le recours aux travailleurs intérimaires sont uniquement justifiées par des raisons d’intérêt général tenant,notamment à la protection des travailleurs intérimaires…… et qu’ils doivent être réexaminées, afin de vérifier si elles restent justifiées ».
La règle nationale autorisant le recours au travail temporaire uniquement pour des motifs bien déterminés semble pourtant passer le test de la loi 4052/2012 laquelle a transposé intégralement la Directive. Elle reste inchangée.
Mais ce ne fut pas pour longtemps. Ensuite, le développement de l’activité de la Troïka a visé à modifier les règles de jeu dans le domaine du marché du travail. Elle a imposé la révision du régime du travail temporaire et plus particulièrement l’élargissement « des types de travail, des positions et des contrats par lesquels l’embauche par voie du travail temporaire est possible ». Une telle révision est ainsi directement prévue au 3ème MOU (Memorandum of Understanding) conclu entre le gouvernement grec et la Troïka. C’est ainsi que la loi 4254/2014 a modifié le régime du recours au travail temporaire. La règle suivant laquelle le recours à cette forme de travail n’est alors autorisé que pour des motifs justifiés par « les besoins exceptionnels, temporaires ou saisonniers de l’entreprise » a été abrogée.
De cette façon, la fonction protectrice semble oubliée et le régime du travail temporaire aboutit à été « libéralisé » en ce qui concerne un facteur déterminant, probablement le plus important, du fonctionnement des entreprises de travail temporaire.
Les interdictions
La loi 2956/2001 avait initialement prévu deux situations dans lesquelles le recours au temps temporaire n’était pas autorisé : pour remplacer des grévistes et lorsque l’entreprise a procédé à des licenciements collectifs au cours de l’année précédente.
De plus, la modification de 2010 prévoit une interdiction nouvelle de recourir au travail temporaire. Un tel recours est interdit lorsque l’entreprise a procédé soit à des licenciements économiques de travailleurs de la même qualification au cours des 6 mois précédents, soit à des licenciements collectifs au cours des 12 mois précédents.
Il devient ainsi plus difficile pour l’employeur de remplacer un employé régulier par un employé temporaire. Cette nouvelle règle, inscrite dans le dispositif de protection établi par de la loi 3846/2010, semble renforcer l’efficacité de la loi et empêcher la transformation des emplois permanents en emplois temporaires dans un processus en étapes, des licenciements suivis du recours au travail temporaire.
Les lois successives, tout en maintenant le principe de cette interdiction, ont limité pourtant son efficacité en réduisant la période de référence. C’est ainsi que la loi 4254/2014 concrétisant les obligations issues du 3ème M.O.U. avec les créanciers, a réduit la période de référence pour les licenciements collectifs de 12 à 6 mois. De cette façon l’efficacité de l’interdiction est affaiblie.
C’est la preuve une fois de plus que « les lois de la crise » avancée visent à la flexibilisation du régime du travail temporaire et à la réduction de la force des lois antérieures qui avaient en vue la protection des salariés.
La durée des missions
La durée de l’emploi intérimaire, au service d’une même entreprise utilisatrice, ne pouvait initialement, selon la loi 2956/2001, excéder 18 mois. Or, à partir de 2010 un processus de libéralisation du régime s’est amorcé. C’est la loi 3899/2010[16], une des premières lois qui ont suivi l’installation de la Troïka, qui est venue modifier les règles régissant la durée de la mission. Celle-ci, renouvellements compris, pourra dorénavant atteindre 36 mois. Une telle augmentation, de nature à flexibiliser le recours à cette forme de travail précaire, semble être en contradiction avec l’autre mesure adoptée par le législateur grec quelques mois auparavant (loi 3846/2010), qui consistait au contraire à limiter le recours au travail temporaire en cas de besoins « exceptionnels, temporaires ou saisonniers » en s’appuyant sur le principe implicite d’une durée beaucoup plus limitée.
D’autre part, selon la règle initiale de la loi 2956/2001, la mission du travailleur temporaire sur la base d’un contrat avec une autre entreprise de travail temporaire, toujours pour le même poste de travail, n’était pas directement interdite et la nouvelle mission n’était pas comprise dans le calcul, considérée comme non successive. Or, c’est la loi 3846/2010 recherchant la protection des salariés qui a établi pour la première fois une règle visant à l’interdiction de ces abus : l’entreprise ne pouvait avoir recours au même travailleur, même avec une autre entreprise de travail temporaire, s’il n’y avait un intervalle d’au moins 45 jours entre les deux missions. Dans le cas contraire, la conclusion d’un contrat de travail « normal » avec l’entreprise utilisatrice serait présumée.
Cette règle, censée constituer une limite, a été, par la suite, partiellement modifiée. Son principe est, certes, maintenu, mais l’intervalle obligatoire entre les deux missions a été réduit de 45 à 23 jours. De cette façon, le renouvellement des missions est facilité et la possibilité des ces abus est rendue relativement plus facile.
L’entreprise de travail temporaire (la licence – le capital – l’acteur)
Une série de modifications récentes du régime du travail temporaire qui correspondent, une fois encore, tant à la transposition de la Directive européenne qu’à des engagements de l’Etat grec à l’égard de ses créanciers, ont visé à faciliter l’activité de prêt de main d’œuvre.
Tout d’abord, la loi 4052/2012[17] assouplit les règles relatives à la personne qui peut exercer cette activité. L’activité de prêt de main-d’œuvre à but lucratif peut dorénavant être exercée non seulement par des sociétés anonymes (comme la loi antérieure le prévoyait) mais également par d’autres types de sociétés et surtout par des personnes physiques.
Ensuite, la loi 4093/2012 supprime l’obligation pour la personne, physique ou morale, de disposer d’un capital social minimum consacré à cette activité particulière. Cette mesure était censée renforcer la crédibilité des entreprises de travail temporaire[18]. Seules les personnes d’une surface économique suffisante pouvaient entreprendre une activité présentant des risques pour la satisfaction des droits des salariés. Donc, en cas d’insolvabilité de l’entreprise de travail temporaire, la satisfaction des droits salariaux ne peut reposer que sur la voie de la responsabilité solidaire de l’entreprise utilisatrice ou sur les lettres de caution bancaire obligatoirement déposées auprès de l’autorité compétente. Une fois de plus, la protection des salariés est sacrifiée à la flexibité.
Enfin la loi 4052/2012 supprime l’obligation pour l’entreprise de travail temporaire d’obtenir une licence avant le début de l’exercice de l’activité. Cette licence avait pour objectif de faire vérifier préalablement par la commission compétente que toutes les conditions prévues par la loi étaient bien remplies. Dorénavant, l’obligation de l’entreprise se limite à une simple déclaration. Certes, l’autorité compétente garde toujours le pouvoir d’examiner si les conditions prévues par la loi sont respectées. Mais il ne s’agit plus d’un contrôle préalable, mais a posteriori.
L’exception – la sécurité
La sécurisation de la condition des travailleurs temporaires constitue toujours un des objectifs des prévisions législatives relatives à cette forme de travail atypique. L’activité législative, même en temps de crise, peut conserver une telle orientation. Or, il ne s’agit que d’une exception[19]. On a déjà mentionné certaines mesures législatives de nature protectrice qui ont été pourtant par la suite soit annulées soit essentiellement limitées. Deux initiatives protectrices du législateur grec en matière de travail temporaire pouvaient être en outre mentionnées : la prise en compte des salariés intérimaires dans le calcul du seuil au-delà duquel les instances représentatives du personnel peuvent être constituées et l’égalité de traitement entre les travailleurs temporaires et les salariés réguliers de l’entreprise utilisatrice.
La prise en compte des travailleurs
La législation initiale de 2001 ne comprenait aucune réglementation concernant la prise en compte des salariés intérimaires dans le calcul du seuil au-delà duquel les instances représentatives du personnel de l’entreprise utilisatrice doivent être constituées. En principe, ces salariés ne pouvaient être considérés, selon les règles générales, que comme des salariés de l’entreprise de travail temporaire.
La nécessité de transposer la Directive 2008/104 a changé pourtant la perspective. L’article 7 de cette directive prévoit que les travailleurs intérimaires sont pris en compte soit au sein de l’entreprise de travail intérimaire, soit au sein de l’entreprise utilisatrice pour le calcul du seuil au-dessus duquel les instances représentatives des travailleurs prévues par le droit communautaire et national ou les conventions collectives doivent être constituées. Le législateur grec se devait alors de procéder à une clarification du régime.
Pour autant, il est important de souligner que la loi 4052/2012, à l’occasion de la transposition de la directive, a procédé à une réglementation plus favorable du régime du travail temporaire sur ce point. Elle prévoit ainsi la prise en compte des travailleurs intérimaires dans le calcul du seuil au-delà duquel les instances représentatives du personnel doivent être constituées, tant au sein de l’entreprise de travail intérimaire qu’au sein de l’entreprise utilisatrice.
Deux remarques peuvent être émises à cette occasion : d’une part le droit européen a été l’occasion de concrétiser la façon dont les salariés sont représentés. Il s’agit là d’une influence positive. D’autre part le législateur grec, d’une manière plutôt surprenante, a procédé à une réglementation beaucoup plus favorable aux salariés par rapport au régime européen.
L’égalité de traitement entre les travailleurs temporaires et les salariés réguliers de l’entreprise utilisatrice
L’égalité de traitement entre les travailleurs temporaires et les salariés réguliers de l’entreprise utilisatrice avait déjà été instaurée par la législation de 2001. Elle avait pourtant une portée relativement limitée. Elle ne concernait que l’application des clauses de salaire des conventions collectives de l’entreprise utilisatrice.
Les nouvelles dispositions de la loi 3846/2010, dans le cadre de son orientation protectrice au début de la crise, étendent cette règle de l’égalité de traitement. Elles l’étendent tout d’abord à toute forme de rémunération. Celle-ci doit désormais être celle qui serait appliquée si les travailleurs temporaires avaient été recrutés directement par l’employeur pour occuper le même poste ou la même fonction. En outre, l’égalité de traitement inclut toutes les formes de prestations patronales. Ainsi, il est désormais prévu que les travailleurs temporaires doivent pouvoir avoir accès aux installations et aux équipements collectifs mis à disposition au sein de l’entreprise utilisatrice (en particulier les cantines, garderies d’enfants et services de transport etc.), dans les mêmes conditions que les salariés recrutés directement par l’entreprise, à moins que la différence de traitement ne soit justifiée par des raisons objectives. De cette façon, la Grèce a intégralement rempli les obligations résultant de la directive 2008/104/CE.
Il semble que cette modification ait conjugué deux éléments : d’une part, elle souligne l’orientation protectrice de la loi 3846/2010 qui a procédé à une série de modifications du droit du travail dans l’objectif de protéger pendant la crise qui commençait alors à surgir les travailleurs les plus vulnérables; d’autre part, elle met en avant l’élément de sécurité, qui constitue une des composantes de la flexicurité qui imprègne l’esprit de la Directive.
Cette modification constitue ainsi l’une des rares améliorations du régime juridique de fonctionnement des entreprises de travail temporaire qui ont réussi à survivre à l’amplification de la crise. La nécessité de conformité du dispositif national à la législation européenne semble y avoir joué un rôle déterminant.
Conclusion
Tandis que l’attention législative grecque portait au début de la crise sur la protection des salariés temporaires, plus celle-ci s’est aggravée, plus cette perspective semble oubliée, tandis que l’accent est placé sur la flexibilité. Par la suite, en effet, certaines des mesures protectrices ont été abolies ou bien leur portée a été limitée. Le droit européen, représenté par la Directive 2008/104, ne semble pas contrecarrer cette orientation. La tendance à la flexibilisation du travail temporaire continue d’y être soulignée et l’influence sur la sécurité des salariés ne semble qu’exceptionnelle. L’accent est mis sur l’élimination de toute restriction associée au travail temporaire. Enfin, il nous semble clair que le droit du travail grec ne dépend plus des autorités nationales. Son sort est désormais lié aux pressions exercées par des institutions extranationales qui laissent peu de marge de manœuvre aux autorités nationales. Il s’agit, peut-être, de l’émergence d’une nouvelle source du droit du travail, comme A. Lyon-Caen, par une formule remarquable, l’a suggeré[20].
[1] Sur l’importance et les risques du travail temporaire v. B. Siau, Le travail temporaire en droit comparé européen et international, Paris, L.G.D.J.,1996, p. 16 et s.
[2]Journal Officiel A/258/6-11-2001. Sur le régime juridique du travail temporaire en Grèce v. C. Papadimitriou, Le travail temporaire (en grec), Athènes, A.N. Sakkoulas, 2007 passim. A. Koukiadaki, La réglementation du travail temporaire en Grèce, RDT 2010, p. 130-132.
[3] C. Papadimitriou. Le droit du travail grec face à la crise: un passage dangereux vers une nouvelle physionomie juridique, Revue de droit comparé du travail et de la sécurité sociale 2012/2 p. 6 et s. B. Palli, Le droit du travail confronté à la faillite de l’Etat : le cas de la Grèce, D.S. 2013, p. 4 et s. M. Yannakourou-Chr. Tsimpoukis, Flexibility without security and deconstruction of collective bargaining: the new paradigm of labor law in Greece, Comp. labor Law &Pol’cy Journal 2014, p. 331 et s. A. Koukiadaki-L. Kretsos, Opening Pandora’s Box: The sovereign debt crisis and labour market regulation in Greece, Industrial Law Journal, 2012, 276 et s.
[4] Sur le lien entre la crise économique et le droit du travail v. no sp. Droit Ouvrier 2012, p. 68 et s. G. Loy (a cura), Diritto del lavoro e crisi economica, Roma, Ediesse, 2011. S. Clauwaert-I. Schömann, The crisis and national labour law reforms: a mapping exercise, Brussels,Etui, 2012.
[5] Ce terme désigne les experts représentant la délégation de la Commission Européenne, de la Banque Centrale Européenne et du Fonds Monétaire International, chargée d’auditer la situation économique grecque et notamment l’état de ses finances publiques dans le cadre des accords de refinancement négociés et pendant toute la durée de leur validité.
[6] Rapport intermédiaire de la Commission pour la conciliation de la flexibilité avec la sécurité (en grec), EErgD 2008, pp. 993 et s.
[7] S. Robin-Olivier, L’impact de la directive 2008/104 relative au travail intérimaire sur les droits nationaux, RDT 2009, p. 737
[8] I. Koukiadis, Journal Eleftherotypia,19 juin 2010, p. 12.
[9] P. Rodière, Droit Social de l’Union Européenne, L.G.D.J., 2008, p. 1 et s. S. Hennion-M. Le Barbier-Le Bris – M. Del Sol, Droit Social européen et international, Paris, PUF, 2013, p. 43 et s.
[10] C. Barnard, EU Employment Law and the European Social Model: The Past, the Present and the Future,Current Legal Problems 2014, p. 199 et s.
[11] S. Robin-Olivier, op.cit., p. 738. N. Countouris- R. Horton, The temporary agency work directive: another broken promise? Industrial Law Journal 2009, p. 329.
[12] S. Robin-Olivier, op.cit., p. 740.
[13] C. Papadimitriou, Le travail temporaire, op. cit, p. 136 et s.
[14]I. Koukiadis, Droit du travail. Relations de travail individuelles (en grec), Sakkoula, 3ème ed. 2005, p. 303. C. Papadimitriou, Le travail temporaire, op. cit, p. 137.
[15] Rapport intermédiaire de la Commission pour la conciliation de la flexibilité avec la sécurité (en grec), op.cit, p.1083.
[16]Journal Officiel A/212/17-12-2010.
[17]Journal Officielle A/41/1-3-2012.
[18] A. Niccolai, Lavoro temporaneo e autonomia private, Torino, Giappichelli, 2003, p. 18. C. Papadimitriou, Le travail temporaire, op. cit, p. 122.
[19] On a déjà mentionné certaines mesures législatives de telle nature qui ont été pourtant par la suite soit supprimées soit limitées.
[20] Editorial, RDT 2011, p. 669.